Lorsqu’on pense à la thématique de la mort, le thème du deuil s’impose. Parfois à un point tel qu’on l’érige en tant qu’obligation. On établit des critères pour l’évaluer, on le déclare réussi ou raté, on préconise des solutions pour y mettre fin…
D’où vient le deuil ? Quel est son histoire ? Essayons de revenir sur le concept
L’étymologie nous apprend que la première forme du mot date du Xe siècle, « dol » pour signifier l’affliction causée par la perte d’un·e être aimé·e. Dès le début du XIXe siècle, on trouve l’expression « faire son deuil ». Le siècle des Lumières semble marquer le vocabulaire d’une forme de prise en main (faire) individuelle (son) de ce qui était jusqu’alors un chagrin lié à une perte.
Le XXe siècle donnera à son tour une dimension fonctionnelle, avec les fameuses – et fameusement réductrices – étapes du deuil. Leur nombre varie de 5 à 7 selon les auteur·rices, mais toutes laissent à croire que le deuil est un processus réglé que chacun traverse - certes à sa manière, machines imparfaites que nous sommes – pour atteindre le graal : l’acceptation de la perte. Le deuil doit être utile, il sert à sortir de sa vie un être qui n’est plus là. Conséquence immédiate de cette perspective psychologisante : le deuil est « pathologique » si l’individu (oui oui, l’individu, pas la personne évidemment) ne respecte pas les étapes scientifiquement normées de l’affliction. Oh que c’est strict.
Du côté des sciences humaines et sociales, la plupart des études sur la mort se résument à des approches considérant l’unique point de vue des vivant·es. La manière avec laquelle les vivant·es perçoivent la mort – la leur ou celle d’autrui – y occupe une place centrale, les mort·es eux-mêmes sont secondaires voir tout simplement éliminé·es. Historien·nes ou anthropologues étudient les rites funéraires, parsemant quelques considérations paternalistes sur le bon sauvage, mais ne renvoyant souvent qu’au constat général du refus de la mort par notre société de progrès technologique, issue d’un scientisme mal hérité des Lumières.
Ça, c’était jusqu’il y a peu. Depuis l’arrivée d’auteur·rices comme Jeanne Favret-Saada et à sa suite Magali Molinié, Vincianne Despret, Grégory Delaplace ou Arnaud Esquerre pour n’en citer que quelques-un·es, le regard académique sur les mort·es a bien changé.
Vous nous opposerez que les archéologues, médecins légiste (très à la mode en ce moment) ou paléontologues ont pour préoccupation de faire parler les mort·es. Nous vous répondrons qu’ils·elles dialoguent uniquement avec la dimension physique des mort·es (leurs « restes », quel terme incongru) et de surcroit avec l’ambition de comprendre les vivant·es qu’ils ont été. Rare sont ceux·celles prenant des chemins de traverse s’intéressant à la vie invisible des mort·es.
Les idées et thèses des auteur·rices cité·es seront abordées dans de prochains billets. On retiendra ici que cette frange de penseur·euses occidentaux·ales permet de sortir d’une approche normalisante du deuil. Enfin une bouffée d’air frais souffle sur ce qu’il convient de faire avec ses mort·es.
Cette bouffée d’air se traduit par un foisonnement de littérature accessible au plus grand nombre, une chronique y sera consacrée bientôt. Ainsi des romans, blogs, livres de développement personnel ou podcasts traitant du thème des mort·es et du deuil font leur apparition et trouvent un public large.
En parallèle, depuis les années 2010 se développent un « mouvement de la mort positive », qui sera lui aussi interrogé dans un prochain billet. Ce mouvement participe à sa manière à mettre les mort·es à la mode et fait naître des initiatives au bon goût variable.
Pour notre part, nous avons à cœur de nous appuyer sur ces penseur·euses contemporain·nes pour vous accompagner dans un moment dont la difficulté ne pourrait être balayée par l’air du temps. Libéré de l’approche normalisante du deuil, il serait dommage de s’en remettre au joug tout aussi étouffant de la tendance. Tendance ou pas, penser est essentiel.
La bonne nouvelle, c’est que vous n’avez pas besoin de rien de plus que vous-même pour jouir du réconfort que procure le monde de la pensée. La moins bonne, c’est que la perte d’un·e être cher·ère est une épreuve quasi physique. Vous êtes pressé·e de toute part pour prendre des décisions, pour organiser, pour prévoir, pour lister, pour anticiper… Un décès entraîne une logistique si importante qu’elle vous éloigne de l’essentiel : être avec votre défunt·e et penser cette nouvelle relation qui vous unit à lui·elle.
Outre l’accompagnement logistique que nous prenons en charge selon vos souhaits, nous vous accompagnons aussi et surtout dans cette nouvelle relation en construction. Issus de nos longues années de lecture et d’échanges à propos des mort·es, nos mots et nos gestes vous accompagneront jusqu’à trouver les vôtres.
Quelques suggestions de lectures à commander auprès de votre libraire indépendante préférée :
- Jeanne Favret-Saada, « Les mots, la mort, les sorts », 1977.
- Magali Molinié, « Soigner les morts pour guérir les vivants », 2006.
- Vincianne Despret, « Au bonheur des morts », 2015.
- Grégory Delaplace, « Les Intelligences particulières: Enquêtes sur les maisons hantées », 2021.
- Arnaud Esquerre, « Les os, les cendres et l’État », 2011.
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lien vers Spotify
Alain Bashung : Immortels